Présentation des principaux enquêtés


Nous présentons ici les vingt principaux enquêtés de notre recherche (ceux avec lesquels nous avons mené un entretien). D'usage courant en anthropologie, ce type de présentation permet de situer la position sociale de l'informateur, de rendre compte de sa situation au sein de l'organisation dont il fait partie. Par " manque de place ", nous n'avons pas intégré à cette étude de compte-rendu d'entretien en bonne et due forme. Nous espérons que ces courtes présentations rendront la lecture plus facile.


Amy : directrice des centres de passage et des programmes de lits paroissiaux et d'outreach, une vingtaine de " gestionnaires de contrat " (avec les services associatifs locaux) sont sous ses ordres.. Sa position actuelle la place au croisement des politiques d'assistance et de répression, des associations en contrats avec la ville et des organisations charitables. A DHS depuis 1994, elle travaillait d'abord dans la section " santé mentale ", s'occupant à la fois des familles et des adultes. Encore auparavant, elle travaillait dans les services municipaux d'aide aux handicapées. Agée d'environ 50 ans, elle est mariée et mère de 4 enfants.

André : directeur adjoint à la sécurité, il travaille au centre de passage depuis 1992. Agé de 35 ans environ, Français d'origine martiniquaise, il a obtenu une maîtrise de droit à Bordeaux avant de partir pour le Canada puis les Etats-Unis. Il est actuellement en maîtrise de criminologie et rêve de travailler pour le FBI ou, à défaut, de monter son entreprise de gardiennage. Son poste fait de lui le supérieur hiérarchique du personnel chargé de la sécurité (ADs). Il s'occupe en outre du programme d'outreach. Selon lui, le " système " est à l'origine du problème SDF : l'Amérique souffre d'un déficit de " valeurs familiales " et des conduites inappropriées qui en découlent. André est au sein de CDP le meilleur " théoricien " de l'underclass : il est en quelque sorte plus royaliste que le roi.

Becky : titulaire d'une licence de human services, elle s'occupe de 25 familles résidant à CPF. Elle incarne la résistance " de la base " aux changements entreprenariaux imposés par la direction. Agée de 50 ans environ, d'origine portoricaine, elle est la mère de deux enfants d'une vingtaine d'années.
Catherine : résidente de CDP depuis 9 mois au moment de l'entretien (février 2001). Agée d'environ 50 ans, elle a quitté la Hollande il y a trois ans et a vécu à Phœnix avant de venir à New York. Elle est titulaire d'une carte pour " besoins spéciaux ", elle dort en lit paroissial et contribue aux journaux Upward et BigNews. Elle-même se présente comme un écrivain, et considère l'expérience de " la rue " comme nécessaire à son art. Elle a fait sienne la vie de l'institution, ne mentionne aucun intention d'en sortir (" chaque chose arrive au moment où elle doit arriver ", dit-elle), et estime être la " conseillère des conseillers " et l'avocate des SDF : elle aide les bénévoles à préparer la soupe populaire, les encourage à se porter volontaires pour veiller sur les lits paroissiaux. Son personnage oscille entre la figure de " l'intellectuel hobo " décrit par Anderson et celle du malade mental, pour qui le centre de passage représente une " solution permanente ".

Cheryl : résidente de CPF âgée de 19 ans, elle a été placée dans une famille d'accueil à l'âge de 17 ans jusqu'en février 2000, date à laquelle elle entre à EAU. Elle a été scolarisée jusqu'en seconde. Allocataire de TANF (100 dollars tous les 15 jours et 200 dollars de food stamps par mois), elle participe à un programme de formation pour adolescentes. Son mari travaille dans un magasin pour la maison et gagne 850 dollars tous les 15 jours. D'origine portoricaine, elle est la mère d'un garçon de quatre ans, pour lequel elle a demandé à recevoir SSI (il est asthmatique). Arrivée à CPF en avril 2000, son dossier d'aide au logement a été approuvé, elle recherche maintenant un appartement. (entretien réalisé par une étudiante de Hunter College)

Cody : est arrivé à CDP en novembre 2000, à sa sortie de prison où il avait passé 5 ans pour deale. Il a 47 ans, est hispanique et père de 2 enfants (26 et 5 ans). Suite à une blessure invalidante, il bénéficiait de SSI jusqu'à son entrée en prison. Il a fait une demande pour l'obtenir à nouveau sans avoir eu de réponse jusqu'ici. Il reçoit par contre 68 dollars tous les 15 jours au titre de SNA-cash. Il cherche en outre à obtenir la garde de son plus jeune fils, et suit pour cela, conformément aux prescriptions du juge pour enfants, un programme pour alcooliques. A CDP, il participe au groupe de partage. Cody essaie de passer le moins de temps possible au centre de passage : " Je n'aime pas être sans-abri : les foyers me rappellent la prison avec leurs règles et tout. Je n'aime pas la prison et je n'aime pas être dans un foyer qui est comme une prison. "

Isabelle : résidente de CPF depuis mars 2000, elle vit en foyer depuis 6 ans. Elle est originaire d'Amérique du Sud et a terminé le lycée dans le Delaware avant de venir à New York où elle s'est mariée. A 25 ans, elle est la mère d'un petit garçon de 2 ans. La famille reçoit 243 dollars en cash tous les 15 jours et 231 dollars en food stamps (régime spécial pour les personnes souffrant du SIDA). Son mari est vendeur de rue quand sa santé le permet. Elle n'estime pas nécessaire de participer aux programmes de retour à l'emploi : dans son état, le welfare est un droit qui ne saurait exiger de contrepartie. Pour le personnel et pour les résidents engagés dans une stratégie de conformité aux nouvelles règles de l'institution, elle est la " mauvaise élève ", celle qui préfère le " système " à " l'autonomie ". Le personnel fait néanmoins en sorte qu'elle participe aux programmes " doux " de l'organisation : éducation sexuelle, groupe de soutien…

Jane : résidente de CPF depuis 7 mois au moment de l'entretien (fin octobre 2000). Agée d'environ 25 ans, elle vit seule avec sa fille de trois ans. Elle a quitté le lycée en première et suit actuellement des cours en vue de l'obtention du GED, au titre de ses obligations envers le welfare. L'assistance est humiliante et l'aide dérisoire : elle fait ce qu'elle peut pour être en règle et en sortir le plus vite possible.

John : directeur de CDP depuis 1989. Agé de 48 ans, il est marié et père de deux enfants d'âge scolaire. Titulaire d'une maîtrise de psychologie et d'un doctorat en sociologie, il a été chargé de cours en psychologie clinique à Columbia, a publié livre et articles. CDP est son " invention ", de même que le modèle consumériste d'aide aux SDF qu'il y entend appliquer. Leader charismatique, on le dit créatif, lui dit qu'il essaie de " rester intéressé " et cherche actuellement " une nouvelle aventure " : peut-être l'ouverture d'un autre centre de passage, à Harlem cette fois.

Mario : directeur de CPF depuis sa création en 1989, il est d'origine hispanique et a environ 50 ans. Il était auparavant directeur adjoint au logement dans un organisme d'aide aux malades mentaux. Titulaire d'une maîtrise de travail social et d'un MBA, il prépare actuellement un doctorat en travail social. Adapter le centre aux nouvelles exigences du welfare et de DHS est son objectif.

Marta : directrice adjointe aux "services professionnels" du centre pour familles (CPF) depuis 1997 : elle coordonne les différents programmes destinés aux clients (emploi, garderie, aide aux devoirs etc.). Environ 50 ans, mariée, mère d'une fille d'une vingtaine d'années, elle est titulaire d'une maîtrise en travail social et est actuellement inscrite en doctorat. Elle fut la responsable du projet de classe de Hunter College au sein du foyer. Assistante sociale depuis 20 ans, elle travaillait auparavant pour une organisation logeant des personnes handicapées mentales. Elle encourage les assistantes sociales à suivre la ligne de la direction tout en exprimant ses craintes vis à vis du nouveau welfare dans son travail doctoral et dans l'association professionnelle dont elle est une des présidentes.

Nicole : Assistante sociale à DHS (titulaire d'une maîtrise), elle travaille depuis une dizaine d'années à EAU (actuellement dans la cellule pour femmes battues). A CPF, elle anime un groupe de femmes victimes de violence conjugale. Elle suit aussi certaines clientes individuellement. Elle est noire et a environ 55 ans. En partie extérieure à l'organisation, elle se montre très critique vis à vis du " système " tant d'hébergement que d'assistance sociale.

Peg : résidente de CPF de 42 ans, originaire de Guyana, elle est la mère de quatre enfants (elle a la garde des deux plus jeunes). Elle est allée quelque temps à l'université. Allocataire du TANF, elle apprécie l'aide qu'elle reçoit : " je ne dirai jamais qu'ils doivent nous donner de l'argent parce que, non, ils ne sont pas obligés ". Conformément aux objectifs du nouveau welfare, elle travaille à temps partiel comme aide ménagère. Elle a présenté un dossier pour que ses deux filles reçoivent SSI (elles seraient learning disabled). (entretien réalisé par une étudiante de Hunter College)

Pellra : noire, 42 ans, mère de 4 enfants (de 26 à 3 ans) et une fois grand-mère, elle habite à CPF depuis mars 2000 (elle est entrée à EAU en novembre 99). Elle participe à un programme d'emploi de CPF et s'efforce de respecter les règles de l'institution : " plutôt que de me mettre dans le chaos, je viens tous les jours et je suis toujours à l'heure ". Allocataire du welfare par intermittences depuis 25 ans, elle a cependant du mal à comprendre ce que l'on attend d'elle à présent. (entretien réalisé par une étudiante de Hunter College)

Peter : résident de CDP depuis 2 mois (en décembre 2000), il est blanc, a 40 ans. Ancien toxicomane, il a connu une première période dans la rue entre 1992 et 1997. C'est un des clients " modèles " du centre ; il occupe un travail salarié, participe à PTE, dort dans un lit paroissial, bénéficie du welfare. D'abord travailleur social, chauffeur de taxi ensuite, il a replongé dans le deale et l'usage de drogue pendant l'été 2000.

Tera : résidente de CPF d'une trentaine d'années, elle est originaire des Caraïbes. Elle est allée au lycée jusqu'en terminale, est mariée, la mère de 5 enfants. Seule sa fille la plus jeune, la seule à avoir la nationalité américaine, reçoit TANF. Elle est sans papier et présente sa situation comme un obstacle à la recherche d'un emploi et d'un logement (elle vit à CPF depuis 2 ans). Mais elle participe à plusieurs programmes de CPF (" pas ceux du centre de l'emploi, je n'ai pas le droit "). (entretien réalisé par une étudiante de Hunter College)

Teresa : la directrice des services sociaux de CDP depuis 1998, dont elle supervise les différents membres (6 salariés, 3 étudiantes). Arrivée à CDP en 1996, elle s'occupait auparavant du suivi des étudiantes en stage dans l'association. Assistance sociale depuis 20 ans, elle a une maîtrise dans ce domaine et est mariée à un travailleur social. Tout en professant son admiration pour John, elle avoue que le modèle consumériste la concerne assez peu. Elle présente les valeurs traditionnelles du casework : à CDP, " on permet aux clients de retrouver le respect d'eux-mêmes. On donne de l'espoir. Ils ne sont pas seuls, il y a des gens pour les aider. Lentement, ils peuvent guérir et revenir au monde ".

Tina : résidente de CDP depuis un mois au moment de l'entretien (février 2001). A 30 ans, mère noire de deux enfants (4 et 7 ans), elle vient de quitter son mari résidant en Ruth du Sud. Espérant récupérer ses enfants, elle a déposé un dossier pour le welfare et pour l'aide au logement. Bien que titulaire d'une carte blanche, elle participe au programme d'emploi du centre et dort deux nuits par semaine dans un lit paroissial. De l'avis du personnel, Tina est capable de s'en sortir, à moins qu'elle ne cède aux sirènes de la " culture de la rue " (elle tente d'apprendre à l'enquêtrice à être street smart).

William : à 61 ans, il est le directeur des " programmes " à CDP et se présente comme un coordinateur entre les services sociaux et la sécurité. D'origine canadienne, il a d'abord travaillé dans une agence immobilière avant de devenir toxicomane et sans-abri. Arrivé à CDP en 1993, il a travaillé à l'outreach, puis a occupé les postes d'AD et de travailleur social. Il a obtenu une maîtrise de travail social en 1998. Présentant John comme son " mentor ", il est en outre en première ligne dans la gestion des conflits au sein du personnel.