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1. Homeless : étude d’une catégorie savante et mondaine au cours du siècle
" La critique historique et logique des catégories savantes et mondaines est un préalable indispensable à une sociologie rigoureuse de la marginalité urbaine. " - L.Wacquant, 1998, " L’underclass urbaine dans l’imaginaire social et scientifique américain ", dans S.Paugam (dir.), L’exclusion, L’état des savoirs
Connu de tous, le terme homeless, à l’instar du terme SDF en France, fait partie de ces catégories utilisées dans la définition de bien des situations sociales aux Etats-Unis. Les comportements du passant face au clochard dormant entre deux cartons, du passager du métro face au quémandeur, du professeur face à l’enfant du foyer de SDFont été largement commentés par les media, spécialistes de la question depuis les années 80. C’est aussi une catégorie intellectuelle qui donne lieu à de nombreuses publications : les publications médicales s’intéressent à la morbidité au sein de cette population, aux pathologies qui la touchent ; les revues de travail social reviennent sur sa prise en charge par les associations, les foyers, les groupes de charité… Cette double utilisation, savante et mondaine, de la catégorie homeless n’est pas nouvelle. Par analogie avec l’analyse de l’underclass par L.Wacquant, nous considérerons dans ce chapitre que la catégorie s’est constituée au cours du siècle à partir de ces deux foyers, intellectuel et politico-social. Suivant le point de vue américain, c’est la " question SDF " (homelessness) qui doit être l’objet de l’étude. Nous appuyant sur l’approche constructiviste des problèmes sociaux, nous chercherons à identifier les auteurs des différentes définitions du problème, les figures du sans-abri mises en avant, les plans d’action politique qui leur sont associés à chaque étape de la constitution de cette question sociale.
On identifiera deux grandes étapes dans la constitution de la catégorie. De la dépression de 1873 à celle de 1929, les tramps, les hobos sont considérés comme les produits des désordres provoqués par l’industrialisation et l’urbanisation. Ils sont l’ombre des pionniers. A partir des années 1980, l’Amérique pense la pauvreté urbaine à travers l’idée d’underclass, dont les SDF exacerbent les déviances et la dangerosité.
Au début du siècle déjà, les sans-abri ont des noms connus : tramps, hobos, personnages forcément paresseux, alcooliques, mendiants, symboles du désordre urbain et du déficit d'intégration sociale. Dans les grandes villes de l’Est, ils y ont leurs quartiers - délabrés, leurs occupations – à la limite de la légalité, leurs lieux de sociabilité – infréquentables. Figures dangereuses, oui, mais figures romantiques : les premiers SDF de l’Amérique moderne sont des égarés de la Frontière, des pionniers déchus. Antihéros du rêve américain, ils participent néanmoins à sa construction : chemin de fer ici, exploitation houillère là. C’est à Chicago, la ville américaine par excellence de ce premier XXè siècle, la " ville connue " (the known city) de la sociologie américaine ainsi que l’appelle R. Wright, que les premières études concernant les SDF se développent.
N.Anderson ne s’intéresse pas aux homeless en tant que tels. Non pas que le terme n’existait pas à l’époque : le livre de Solenberger, One thousand homeless men, est connu de l’auteur du Hobo. Mais sans doute est-ce un terme trop général pour servir à l’analyse. Qui sont les sans-abri ? Comment est organisé ce groupe ? Pour répondre à ces questions, Anderson se livre à un travail analytique classique : il considère en premier lieu une catégorie particulière de homeless : les hobos. Les sans-abri ne sont pas ceux qui n’ont pas de toit pour vivre, ils sont d’abord des migrants, des ouvriers migrants. Du coup, ce ne sont pas les caractéristiques individuelles des habitants du Loop qu’il faut étudier, mais la place que le groupe occupe dans la division du travail, dans la structure sociale de l’Amérique des années 1850-1930. Le "nomadisme ouvrier" des hobos est une des modalités d’adaptation du prolétariat à l’extrême instabilité du capitalisme : "la majorité d'entre eux sont indispensables dans l'organisation actuelle de l'industrie fondée sur la compétition".Mais Anderson a partagé la condition des sans-abri, il dresse aussi le portrait d’une population "face à ses problèmes". Les hobos ont en commun un mode de vie fait de boulots à la journée, de combines, de divertissements au sein d’une même fraction de l’espace urbain. Mais une analyse des stratégies de survie des sans-abri montre que des processus de différenciation sont à l’œuvre au sein du groupe, que hiérarchies, luttes pour le statut, luttes pour le pouvoir s’y développent. Anderson pose ainsi les bases d’une analyse macrosociale du phénomène sans-abri tout en mettant au jour les dynamiques à l’œuvre au sein du groupe.
Parmi les 1000 clients du Central District of the Chicago Bureau of Charities auprès desquels elle a enquêté entre 1900 et 1903, A.Solenberger distingue plusieurs catégories de sans-abri. Elle étudie les " infirmes et estropiés " d’un côté (chapitre 4), les " fous, simples et épileptiques " de l’autre (chapitre 5). Mais cette distinction n’est pas d’ordre analytique, elle recoupe une logique de travail social. Les sans-abri ont des besoins différents correspondant aux diverses pathologies dont ils souffrent. Le bureau d’aide sociale doit tenir compte de ces disparités s’il veut que son action auprès de cette population soit efficace, s’il veut que les égarés regagnent le mainstream. Indiscutablement, Solenberger entend fournir les outils nécessaires au Chicago Bureau dans sa mission auprès des sans-abri. Isolé des groupes sur lesquels la société repose (famille, groupe professionnel…), tenté par l’oisiveté, le sans-abri souffre d’un déficit de relations qui l’empêche de mener une vie " normale ". Vivant dans des conditions précaires, incapable de prendre soin de lui-même, il développe des pathologies multiples. Déficits psychologiques, problèmes médicaux incitent les sans-abri à vivre aux dépends de la société. Pour le travailleur social, il s’agit de briser ce cycle qui conduit le pauvre " indépendant " (self-supporting), à devenir temporairement puis chroniquement dépendant, avant de sombrer dans le parasitisme social. On n’est pas loin de la rhétorique anti-welfare en cours depuis les années 1970 où il s’agit de faire passer les pauvres de la dépendance à l’autonomie (self-sufficiency).
Avec N.Anderson, naît la sociologie du sans-abri, ancrée dans la tradition de Chicago : une sociologie urbaine attentive aux dynamiques géographiques, aux mouvements migratoires, à l’organisation spatiale et sociale des groupes marginaux. Mais le modèle de A.Solenberger aura plus de succès dans " l’imaginaire social " américain. Solenberger développe une analyse " béhavioriste " à la jonction du travail social et de la sociologie qui n’est pas sans rappelée l’approche qui servit à l’autre bout du siècle à la construction des politiques visant les SDF.
Des années 1940 aux années 1970, la question SDF semble figée. En 1972, on la définit, comme cinquante ans avant, comme un problème d’intégration sociale et un style de vie. L'international Encyclopedia of the Social Sciences évoque les anciennes figures du sans domicile : travailleurs itinérants, vagabonds… Les familles sans-abri n’appartiennent pas à la réalité américaine, elles concernent les pays qui accueillent des réfugiés ou des gens du voyage. Mais dans les années 1980, ce " problème social " va connaître une actualité nouvelle. Médias, universitaires, politiciens, associations s’en saisissent. De nouvelles figures du sans domicile émergent, de nouvelles politiques sont mises en place.
1.2 Au temps de l’ underclass : le paradigme de la dysfonction sociale
Perpétuant la distinction entre bons et mauvais pauvres, l’Amérique des années 1980 a inventé l’ underclass. Ce nouveau type d’appréhension de la pauvreté n’a plus le vernis holiste de l’ancienne explication par la culture de la pauvreté . Elle est directement individualiste. Le journaliste K.Auletta justifie ce " comportementalisme " : "Les membres de l'underclass ne sont pas nécessairement pauvres - les criminels de rue, par exemple, ne le sont généralement pas. Nous en venons donc à un deuxième trait distinctif de l'underclass : le comportement".
Ces pauvres sont caractérisés par des comportements déviants, dysfonctionnels : chômage, aide sociale, désorganisation conjugale, anomie sexuelle, échec scolaire, usage de drogues, criminalité, expérience de la prison… Auletta ne manque pas d’y inclure les SDF, les mêlant aux " soûlots traumatisés ", vagabonds et autres malades mentaux dont le style de vie et l’immoralité menacent la société dominante. Présent dans l’espace public urbain, les SDF constituent la partie la plus visible du fourre-tout underclass. Cette visibilité ne rend leur menace que plus évidente, plus pressante. Les SDF font partie de ces " pauvres impénitents des villes " considérés comme déviants en ce qu’ils "incarnent les échecs du système de motivation de la société".
A New York, l’hiver, les articles sur les SDF se succèdent . De qui parle-t-on ? De familles monoparentales noires, la plupart du temps. C’est un changement assez radical par rapport à l’époque du Hobo. Dans l’imaginaire médiatique, le SDF n’est plus un individu isolé ; ce n’est plus non plus, même par effet de miroir, un artisan du développement américain : c’est une femme, un enfant à la peau sombre du ghetto. La composition de ce groupe aurait-elle évolué si radicalement ? En l’absence de données globales sur la situation du début du siècle, constatons que 32% des sans-abri (secourus) sont des femmes. 15% des clients des centres de secours sont des familles, dirigées 84 fois sur 100 par des femmes. Tous les adultes membres de familles et 91% des clients individuels ont moins de 54 ans. 41% des sans-abri sont blancs (non-hispaniques), 40% sont noirs (les noirs présentant 11% de la population totale américaine). Vraisemblablement, la réalité a changé, mais peut-être pas autant que les médias le laisseraient penser.
Mettre en avant les familles, c’est rendre moins antipathique une population qui tend à l’être de plus en plus. Mettre en avant les familles, c’est en fait, appeler la générosité du grand public autour du sort des milliers d’enfants en manque de foyer. De fait, l’attention des médias reflète l’attention des politiques, des activistes : les familles sans domicile sont moins déméritantes que les adultes isolés, elles sont plus souvent aidées. Au contraire, les hommes sans-abri, en particulier s’ils sont noirs, sont les pauvres non méritants par excellence : " Ils sont perçus comme dangereux et agressifs, on les laisse dans la rue ". La question de la " race " se superpose avec celle du genre, pour " doubler " le stigmate, pour faire de ces hommes les premières cibles de la suspicion sociale.
Que le système de secours soit plus généreux à l’égard des familles ne signifie pas que les familles soient vierges de tout soupçon. Pour être différent, le mode de stigmatisation n’en est pas moins efficace. Les familles pauvres ne sont plus composées de "veuves avec enfants laissées sans le sou san avoir commis aucune faute" que secouraient les pensions pour les veuves du début du siècle ou l’ADC du Président Roosevelt. Comme les autres familles pauvres, les familles sans domicile sont suspectées de profiter du système d’aide sociale, d’être des welfare queens. Peut-être sont-elles encore plus suspectes que les autres puisque ne se contentant pas de bons d’alimentation, de couverture médicale et d’aide en espèces, elles demandent, en plus à être logées…
Mais cette représentation dominante est biaisée :
"Les pauvres apparaissent pauvres plutôt que chômeurs. Les SDF apparaissent SDF plutôt que déplacés."
Elle occulte la dimension à la fois culturelle et économique de la pauvreté, le fait que l’employabilité est une notion définie historiquement par les conflits et mouvements sociaux dans le cadre des Etats-Nations. En ce sens, l’expression welfare queens révèle la modification des attentes sociales à l’égard des mères à charge de famille. Autrefois considérées comme inemployables, on attend aujourd’hui qu’elles exercent une activité professionnelle, fournissant de fait une main d’œuvre bon marché pour un capitalisme globalisé. Le succès du problème SDF participe de la même occultation. Ce n’est pas leur nombre qui rend la question si pressante, mais le fait que les sans-abri incarnent la présence visible de la pauvreté dans des zones de l’espace public que les classes moyennes et supérieures s’approprieraient volontiers. Tandis que N.Anderson analysait le phénomène hobo comme le produit d’un capitalisme exacerbé, I.Susser invite à replacer le phénomène homeless dans l’économie politique de la domination sociale, tant au niveau local (compétition pour l’appropriation de l’espace public par les classes dominantes) qu’au niveau global (redéfinition des modalités de régulation du travail dans le cadre de la compétition économique internationale).
1.3 Les homeless comme objets spécifiques d’intervention sociale
La définition des SDF comme population aux pathologies multiples, population de couleur, population féminisée, rajeunie est la " définition gagnante " du processus de définition collective engagé sur le terrain intellectuel et politique. J.Wright, B.Rubin, J.Devine identifie trois types de définition concourant pour l’hégémonie dans les années 1980 :
Ce sont les deux définitions de type individualiste qui l’emportent. L’approche " pathologisante " défendue par les services sociaux conforte la volonté de non-engagement de l’Etat. Ou plutôt, accepter la définition des travailleurs sociaux revient à les reconnaître comme les acteurs les mieux placés pour traiter le problème, donc à leur en laisser la responsabilité.
" En laissant aux travailleurs sociaux le soin de ‘réparer’ les sans-abri, on individualise et on médicalise les raisons qui ont conduit ces personnes à devenir SDF, dans la mesure où les travailleurs sociaux sont des experts de la déviance. "
Cherchant à limiter ses interventions, l’Etat va fournir le cadre législatif qui délèguera la gestion de la question à l’échelon local, et de là, aux organismes privés d’aide aux pauvres.
1.3.1 Vers une définition opératoire de la question
Le Stewart B.McKinney Homeless Assistance Act de 1987 définit le SDF officiel comme " un individu à qui manque une résidence fixe, régulière, adaptée pour la nuit, ou un individu qui passe la nuit dans :
En apparence du moins, cette définition n’a que peu de lien avec les théorisations du problème SDF exposées ci avant. Elle ne semble pas rechercher les causes (volonté ou déficiences individuelles, organisation économique…) qui ont conduit aux conditions de logement qu’elle décrit. En effet, cette définition répond à un autre débat : elle cherche à rendre possible l’établissement d’une " comptabilité " des SDF, dont l’absence prête à controverse depuis plusieurs années. Définition destinée à un usage politique, elle se veut opératoire : il s’agit de déterminer qui est sans-abri et qui ne l’est pas, de cerner le groupe visé par les nouvelles dispositions législatives. Cette définition, qui s’en tient à la question du logement, est réductionniste. Elle ramène la question SDF à l’insécurité du logement, de la même manière le problème de " la faim " est réduit à l’insécurité alimentaire Au secours alimentaire d’urgence répond le logement d’urgence. Au prix d’un double tour de force, la pauvreté a ainsi été réduite à la question SDF et à la question alimentaire, tandis que celle des inégalités et de la structuration sociale est escamotée… et les activités charitables ont été revalorisées.
" Pourquoi sommes-nous devenus si attachés aux termes de faim et de homelessness plutôt qu’à ceux de pauvreté et d’inégalité ? (…) En réduisant le problème de la pauvreté à ses symptômes, on s’est donné l’impression de pouvoir faire quelque chose. Et on fait ce qu’on peut. "
Seront considérés comme SDF ceux qui répondent (a), (b) ou (c) à la question " où avez-vous dormi la nuit dernière ? ", individus qui conformément à la représentation dominante ont toute chance de présenter des troubles mentaux et/ou physiques. Ainsi, 228 621 sans domicile fixe, 178 000 dans la rue contre 50 000 dans les foyers d’hébergement environ, furent comptabilisés durant la nuit de recensement organisée à New York, la Nouvelle Orléans, Chicago, Los Angeles et Phœnix en 1990. Seule estimation officielle à ce jour, ce chiffre n’a pas mis fin aux controverses. A la même période, la National Coalition to end homelessness évaluait à 735 000 le nombre de sans-abri aux Etats-Unis. Utilisée par les activistes pour attirer l’attention des médias et revendiquer plus de moyens, la comptabilisation du nombre de sans-abri a permis aux politiques d’imposer leur définition du problème, de réduire la question SDF à une affaire de logement, de justifier le traitement d’urgence qui y était apporté.
1.3.2 Emergence d’une politique fédérale de secours aux sans-abri
Quand le personnel des centres d’hébergement de New York parle aujourd’hui de " l’argent McKinney " (McKinney money), il fait référence aux fonds fédéraux attribués aux Etats, aux municipalités et aux associations de secours en provision de la loi de 1987 qui demeure la seule initiative législative fédérale en faveur des sans domicile fixe. Elle correspond à ce que l’on appellerait en France une loi-cadre : elle incorpore les différentes dispositions législatives déjà existantes et crée une série de programmes financés par le gouvernement fédéral (11 millions de dollars attribués depuis) sous la responsabilité première du ministère du logement (HUD) en collaboration avec ceux de la santé, du travail et de l’éducation (fédérés au sein de l’agence interministérielle sur les sans domicile).
Investissant pour la première fois le problème de manière massive, le gouvernement fédéral crée sa propre approche du problème, dans le prolongement de l’optique " logement d’abord " (housing first) de la définition du SDF. Ce modèle, connu sous le nom de " continuum de secours " (continuum of care), est défini comme " une approche qui aident les communautés à organiser et à offrir une gamme complète de logements d’urgence, temporaire et permanent et de ressources qui répondent aux divers besoins des personnes sans-abri ". Le problème SDF se résoudra localement, fusse avec l’argent de Washington : nouvelle politique de l’agenda fédéral, sa prise en charge s’inscrit dans la tendance à la décentralisation qui caractérise l’ère Reagan et les administrations suivantes.
Le modèle a poursuivi son évolution depuis la réforme du welfare en 1996. Un nombre croissant de ministères se sont vus impliqués, ceci étant justifié par l’idée que le problème est de plus en plus global, les besoins de plus en plus variés. En réalité, on sous-entend ici que le problème SDF, pour n’être pas un problème isolé, doit être traité dans les mêmes termes que les autres symptômes de la pauvreté, que les services sociaux doivent réserver le même traitement aux sans-abri qu’aux autres pauvres. L’objectif est de
" relier et d’intégrer les programmes destinés aux sans-abri au système général de secours ".
Les mêmes objectifs d’autonomie sont affichés pour les SDF que pour les autres bénéficiaires de l’aide sociale, entrée dans l’ère post-welfare : les politiques doivent " identifier les stratégies efficientes pour que les sans-abri, particulièrement ceux avec enfants, deviennent indépendants sur le plan économique. "
" Le contexte, la signification, les implications et le futur du problème SDF se sont irrémédiablement transformés [au cours du siècle]. "
D’abord individu isolé, homme blanc d’âge mûr, allant de ville en ville à la recherche d’embauche et se fixant pendant les mois creux dans le skid row de New York ou Chicago, le SDF " typique " (tel que les médias nous le présentent) est aujourd’hui une jeune femme noire ou hispanique, ayant charge de famille, vivant des subsides de l’aide publique et ne pouvant faire face à un loyer trop élevé. Au-delà de ces changements, cependant, certaines questions demeurent les mêmes. Le problème SDF est toujours perçu comme un problème urbain et la ville comme un milieu incubateur de pathologies sociales. On continue à opposer les sans-abri qui utilisent les services sociaux et les sans-abri de la rue, même si cette opposition est d’abord un instrument analytique permettant d’identifier les parcours et les stratégies des acteurs entre ces deux " espaces-ressources de la quotidienneté ". La distinction entre SDF au travail et SDF sans travail (considérés par les uns comme inemployables, par les autres comme refusant le principe même de l’activité professionnelle) reste essentielle. Elle justifie l’attribution ou le déni des aides, la hiérarchie entre les sous-populations et les services qui leur sont destinés.
Il semble cependant que la tendance actuelle soit à l’alignement des services d’hébergement sur les autres formes d’aide aux pauvres, l’exigence de travail se faisant de plus en plus forte. Au demeurant, ne peut-on pas considérer que les exigences en terme de travail, bien qu’elle n’existe que relativement aux institutions qui les formulent, font partie des constantes de l’aide aux pauvres ? C’est à une étude de la place de l’incitation / obligation au travail au sein du système d’aide sociale américain que nous nous livrerons dans la suite de ce mémoire.
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